En psychomot, on fait le café

 

 

 

 

 

 

Ou le thé, et on demande même si on veut du sucre.

Il y a des enfants qui viennent en psychomotricité avec plaisir. Et il y a ceux pour qui s'est plus compliqué, qu'il faut réussir à motiver, à intéresser. Quand cela fait 5, 7, 12 ans que le jeune enchaîne des journées de "prise en charge" passant d'éduc en psychomot, de psy en ortho, des fois soyons honnête il est moins emballé, voire il en a ras le diagnostic de notre tête.

Lucas a bientôt 14ans un autisme avec un niveau de développement qui rend la compréhension assez difficile et une passion pour les appareils électriques. Il se moque des dinosaures, des voitures ou des vidéos, lui ce qu'il aime c'est les sèche cheveux,  les aspirateurs, les tondeuses, les imprimantes... n'importe quoi qui a une prise et qui fait du bruit quand on le met en marche. Il est en IME et a des accompagnements tous les jours de la semaine. En soit ce n'est pas un enfant "difficile" à gérer. Il vient, il fait ce qu'on lui propose. Mais de là a dire qu'il y prend du plaisir... En le voyant j'ai plus le mot "docile" que "motivé" qui me vient à l'esprit. Et nous, on veut des enfants qui prennent du plaisir !

D'abord on regarde ce qu'on veut travailler :

Pour choisir les médiateurs à utiliser on regarde le projet, les objectifs à atteindre et on cherche une route qui non seulement puisse y mener, mais qui en plus soit plutôt agréable. Lui, on aimerait qu'il travaille entre autre :

  • les habiletés conversationnelles qu'il ne maîtrise pas du tout. Il a envie de communiquer, mais n'a pas les outils nécessaire pour le faire. Le contenu c'est l'affaire de l'orthophoniste, mais le contenant c'est aussi nous : le regard, le tonus dans le débit de parole, la distance entre les corps.
  • Les fonctions exécutives : attention, mémoire, planification de la tâche...
  • Les coordinations générales, notamment pour s'adapter à l'environnement (devoir se baisser, enjamber un obstacle...)

A nos objectifs, il faut ajouter sa motivation. Souvent j'entends "c'est quand même mieux quand ça plait à l'enfant". Pas du tout, ce n'est pas mieux. C'est essentiel, c'est comme ça qu'il va apprendre de manière optimum durant la séance et surtout qu'il va avoir envie d'utiliser ses compétences à l'extérieur. Qu'il soit capable en séance de nous restituer par ordre de taille une liste de 4 animaux c'est super mais ce n'est pas ultra fonctionnel pour ce genre de profil. 

Et puis on fait le café :

Alors avec Lucas on va faire le café. Bon au début je me suis dit qu'on allait me regarder bizarrement dans les couloirs (mais en fait quand on explique les choses, c'est magique, les gens comprennent). On ne le fait pas comme des fleurs, on a des objectifs à tenir !

1 - Les habiletés conversationnelles :

  1.  Lucas ne sait pas comment interagir avec les gens alors qu'il adore ça, on reprend donc en transversal le boulot de l'ortho pour lui donner des patrons de conversation à suivre, en attendant qu'il puisse progresser dans ce domaine. Il doit donc demander à la personne désignée : Si elle veut boire quelque chose de chaud (là faut dire oui hein !), si oui si elle veut du thé ou du café, puis si elle veut du sucre. Ça, c'est le patron facile et linéaire de base. On commence à rajouter quelques embranchements du type : si c'est du thé tu demandes "vanille ou menthe" (mais pas si c'est du café !). Un peu plus tard on pourra rajouter des initiatives comme "tu choisis à qui tu veux demander" et même de la flexibilité : demander à deux personnes et une des deux dit non (et du coup on s'arrête et on ne propose pas toute la suite !)
  2. Au niveau corporel, on est sur l'ajustement postural (on se tourne vers la personne), le regard (au moins vers la bonne personne si ce n'est dans les yeux) la distance (on ne se colle pas) et une diminution du tonus qui rend le discours trop rapide et saccadé. Pour l'instant avec une personne, on pourra travailler ces ajustements dans une conversation à plusieurs quand ce sera acquis. 
  3. Toujours au niveau corporel on est sur de la prise d'information : Est ce que la personne me regarde ou fait-elle autre chose et elle n'a pas entendu qu'on lui parle ? Pour l'instant on accentue volontairement notre disponibilité corporelle pour pouvoir par la suite travailler des indices plus fins. Peut-être un jour pourrons nous travailler sur les émotions (si elle est en train de se disputer n'y va pas...)

2 - Les fonctions exécutives :

Maintenir une tâche, l'accomplir jusqu'au bout, ne pas sauter d'étape... C'est difficile. Notre mini activité nous permet de travailler différents points :

  1. La mémoire : Pour l'instant Lucas doit retenir 3 éléments (4 quand on rajoute le choix du thé) : thé/café, sucre/pas sucre, à qui je ramène ce que je viens de préparer (ça reste une info qui se perd !). A chacun de définir la stratégie pour retenir (se répéter, image mentale...). Nous sommes volontairement dans de l'auditif mais rien n'empeche de faire un petit support pour que l'information soit visuelle.
  2. L'attention : Lucas a tendance à poser ses questions mais à ne pas écouter les réponses, étant donné que jusque là il ne savait pas trop quoi en faire. On travaille beaucoup sur "pose la question quand tu es prêts à écouter la réponse".
  3. La planification : Enfin arrive le saint Graal : L'espace thé - café avec sa machine a café senseo (prenez celle que vous voulez, je ne suis pas sponsorisée ;p) et la bouilloire. La première étape est bien entendu de vérifier que le jeune soit en possibilité de les utiliser en toute sécurité pour lui et pour nous, ce qui est le cas de Lucas. Bon spontanément, il aurait tendance a appuyer sur tous les boutons au hasard jusqu'à ce qu'un appareil se mette à faire du bruit et que son visage s'illumine. Là il a un séquentiel à suivre, dans l'ordre. L'action a déjà été planifiée pour lui, mais encore doit-il suivre les différentes étapes pour arriver à son but. L'objectif à terme est de regrouper de plus en plus les étapes de son séquentiel jusqu'à ce qu'il n'en ai plus besoin.

3 - Les compétences motrices :

Encore une fois priorité à la sécurité, alors tant pis si Brigitte de la compta adore son thé brûlant, on rajoute de l'eau et on ne livre que des boissons tièdes. On choisi aussi quelqu'un qui n'est pas à proximité immédiate de la machine. Et hop, c'est parti pour apporter sans renverser. A vous d'anticiper le contenant : plus la personne fait des progrès plus il peut être petit (donc plein). Au début nous nous contentions de marcher bien à plat (on a pas mal essuyé quand même). Maintenant on peut faire aussi de petites marches, ou un passage par l'extérieur qui n'est pas plat. Il est fort probable que dans les semaines à venir il y ait des choses en enjamber ou des chaises facétieuses à pousser du chemin... Peut être même un jour livrerons nous deux verres en même temps ou, soyons ambitieux, deux verres sur un plateau !

En conclusion :

En conclusion, on cherche souvent des idées complexes ou très originales pour faire plaisir aux patients, mais parfois il n'y a pas besoin de se lancer dans de l'aquaponey ou de la scuplture-en-acrobranche. Faire vivre de nouvelles expériences c'est essentiels, élargir les centres d’intérêts aussi mais il faut aussi parfois savoir retourner à l'aspect sécurisant et fonctionnel du travail sur la vie quotidienne. 

Alors mon activité ne sera jamais dans les magazines et encore moins dans un film Hollywoodien, mais moi je vois bien que le visage de Lucas s'éclaire quand je lui dis "on va proposer quelque chose à boire ?". 


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Commentaires: 2
  • #1

    Adeline (mardi, 19 décembre 2017 20:55)

    Merci <3

  • #2

    Vigneron Juliette (mardi, 09 janvier 2018 12:01)

    très chouette témoignage qui donne la pêche et envie de s'autoriser ces projets. belle continuation à Lucas.