Lisa explose sans raison

 

 

 

 

 

Pour ces enfants qui entrent en crise sans que l'on trouve d'explication

Lisa a 14 ans, de grands yeux noisettes et un rire qui s'entend dans tout l'étage. Elle aime les chats, Jennyfer et qu'on s'occupe d'elle. Lisa est autiste avec un retard mental. C'est dur de s'ajuster quand on est une grande jeune fille avec la compréhension d'une enfant de 2 ans. Elle veut jouer, qu'on la regarde, elle cherche les câlins. Des fois elle fait des choses qu'on ne comprend pas, elle se gratte, elle pousse de petits cris ou elle dit des gros mots. La plus part du temps elle rit et elle entraîne tout le monde dans sa bonne humeur. 

Et des fois elle "explose".

Comme ça, sans raison. Elle se jette sur un adulte pour lui arracher les cheveux, lui mordre le bras. Elle tape le camarade assis à côté d'elle. Elle fait quelque chose d'imprévu, d'imprévisible, jamais agréable. Des fois elle jette des choses ou elle se fait mal à elle même. Dans ces cas là c'est dur de la calmer, ça dure. On ne peut pas la laisser comme ça, hurlante au sol et risquant de se faire mal. On ne peut pas l'approcher non plus parce que ça maintien sa crise. Depuis quelques temps elle a compris que si elle hurle "aïe aïe aïe" les gens s'éloignent de peur qu'on pense qu'on la tape. Alors on y va a deux, on l'amène comme on peut dans un endroit calme, sans stimulation pour qu'elle s'apaise. Des fois ça marche, des fois elle a l'air calme mais explose de nouveau quelques minutes après. 
Elle a toujours été comme ça, depuis toute petite. Mais une enfant de 5 ans qui se lance sur nous on le gère, une demoiselle de 14 ans ce n'est pas la même histoire.

Alors on fait ce qu'on fait toujours dans ces cas là : Une réunion. Chacun parle de son vécu, on décrit, on raconte des épisodes de la semaine. On met en place des analyses fonctionnelles, pour savoir avec qui, quand ou pourquoi elle explose. On cherche un déclencheur. Au mieux on arrive à se détacher de notre expérience pour faire une description objective de ce qui se passe.

Mais rien ne ressort.

Lisa explose pour rien.

Si elle a de la chance, dans le dossier on notera qu'elle entre en crise pour une raison qu'on n'a pas identifié. Sinon on verra qu'elle le fait sans raison.

Ce qu'on trouvera à coup sur c'est une description de ses crises. Quand elle mord, quand elle tape. Quand elle crache au visage ou qu'elle traite de connasse homme et femme de manière indifférenciée (que fait l'ortho ?). Tous les détails sont là. Ce qui est dommage c'est que personne ne va décrire à quoi ressemble une Lisa qui va bien. Et ça, ça aurait pu être vraiment utile.

Quel intérêt me direz vous ? Quelqu'un qui va bien à la tête... ben de quelqu'un qui va bien non ?

D'accord, mais à quoi ressemble une personne autiste qui va bien ? Une personne qui vit, comprend et ressent son corps et le monde différemment ? Quand elle sautille sur place, elle est heureuse ou impatience ? Quand elle serre très fort ses jambes croisées elle se détend ou régule son angoisse ? Quand elle se gratte, mange ses cheveux, quand elle se colle à son éduc ? C'est tout ces petits gestes du quotidien qu'on voit tellement souvent qu'ils font partis d'elle, de notre normalité qu'il faut relever. Et surtout savoir s'ils sont le signe d'un bien être ou non.

Ça ça va servir à décrire un comportement comme une évolution du "tout va bien" à "Lisa a encore explosé sans raison". Peut être qu'on va s'apercevoir qu'elle n'est pas si binaire que ça, et qu'on est juste passé à côté de tous les signes annonciateurs parce qu'ils ne collent pas avec nos habitudes de neurotypiques. Peut être que quand Lisa va bien, elle sautille et elle cherche le contact. Peut être que cette absence de sautillement ou de contact physique sont le premier signe que ça ne va pas. Peut être qu'ensuite elle se met à se gratter l'intérieur du poignet. Puis quand la pression monte encore elle mâche ses cheveux. Et puis quand ça va encore moins bien elle va ouvrir et fermer la porte de son casier. Et ainsi de suite.

Et puis à un moment la pression est trop forte et elle explose. Elle n'explose pas d'un seul coup, elle explose après une dizaine de signes précurseurs qu'on à pas sur identifier. 

Et ça, ça répond à la question de "pourquoi Lise explose".

Elle n'explose pas pour rien. Elle explose parce qu'elle à une multitude de vulnérabilités. Elle est hyperacousique. Elle ne supporte pas le changement. Elle a des migraines ophtalmique. Elle ne comprend pas la continuité temporelle.

Ce matin il y avait des travaux sur la route. Son taxi a klaxonné en pestant, fort. Elle s'est décalée de son voisin. Le soleil était fort et lui venait dans les yeux. Elle s'est grattée. Elle est arrivée un peu en retard et est partie en activité directement, sans passer par la salle d'accueil. Elle a mâché ses cheveux. Elle a voulu un câlin mais on lui a dit oui plus tard. Julie est entrée, elle lui a dit d'un air enjoué et soudain " Bonjour je suis contente de te voir !" et Lisa lui a sauté dessus. Demain Julie pourra dire la même chose, sur le même ton, il ne se passera rien. Quelque part Lisa explose  "pour rien"Ou plutôt elle explose pour une accumulation de plein de petites choses qui n'ont de sens qu'au regard de ses vulnérabilités.

Alors on l'a isolée. Elle allait mieux. Elle était allongée en train de mâchouiller ses cheveux quand on est retournée la voir. On lui a proposé de revenir et elle est retourner faire son activité terre. Elle était assise à côté de la fenêtre bien au chaud au soleil. Et a un moment elle a mordu Quentin qui finissait une girafe. Elle n'a rien contre les girafes mais elle a mal à la tête, le soleil empire la situation, et vu qu'on n'a pas listé ses comportements on n'a pas su qu'en la sortant de la salle elle était déjà sur le fil. Alors oui elle souriait, mais son sourire n'a pas le même sens chez elle. Par contre mâchouiller ses cheveux c'est un message très clair. 

Par habitude on s'attache et on note ce qui ne va pas, le négatif, ce qui fait défaut. S'intéresser à ce qui va, ce que le jeune propose éviterait parfois ces crises et ce mal être. Cela permettrait de ne plus penser qu'il est possible "d'exploser pour rien" et de se rendre compte que, souvent, le jeune nous a envoyé des tas de messages, d'appels à l'aide qu'avec nos yeux de neurotypiques nous n'avons pas entendu.

Écrire commentaire

Commentaires: 1
  • #1

    Myriam (vendredi, 23 mars 2018 10:10)

    Très touchant.