L'enfant autiste qui voulait apprendre à écrire.

 

 

 

Et au commencement il y avait une demande...

Yohan est en CM1 lorsqu'il vient à ma rencontre avec sa maman. Il a un diagnostic d'autisme avec un retard mental, mais il parle bien et, n'en déplaise aux stéréotypes ,aime bien être en relation. Il a aussi des petits yeux noisettes qui pétillent, les cheveux tout ébouriffés, des joues toutes rondes et un sourire qui pourrait postuler pour vous vendre des tartes à la myrtilles ou des confitures bonne maman. Il rigole à chaque phrase par timidité et jubile de nous voir sourire en retour.

Yohan a déjà "un suivi" en place. Il a des séances de psychomotricité dans une institution et une psychologue en libéral. Je le sais déjà car c'est une amie à moi.

"On vient vous voir parce qu'Elle nous a dit que vous pourriez essayer de lui apprendre à écrire".

D'un seul coup c'est beaucoup moins une amie.

La maman s'explique, il a déjà des gens qui l'accompagnent oui, mais quand elle leur parle de l'écriture on lui répond catégoriquement "qu'il n'en est pas là", et que du coup ils ne le travailleront pas. Yohan en tout cas est là, il me regarde avec des petits rires de qui veut combler son silence et répète des petits bouts de phrases de sa maman. A l'école c'est compliqué, soit il refuse d'essayer, soit il gribouille de toute ses forces les fiches qu'on lui donne. Du coup on ne lui donne plus que des photocopies, mais il fait quand même des colères quand les autres écrivent, il faut le sortir de la classe. Une de ses collègues lui affirme qu'il développe une phobie de l'écriture, qu'il se force pour elle. Pourtant, elle en est sure, il veut apprendre à écrire. Encore des petits rires à côté d'elle. Elle sait bien qu'en étant instit le papa et elle les professionnels pensent qu'ils sur-investissent l'écriture mais vraiment, c'est son envie. Quand les parents commencent à utiliser des termes comme "sur-investir" ou "domaines de compétences", tu sais qu'ils ont déjà du enchaîner pas mal de réunion et rendez vous avant toi. Mais Elle nous l'a dit, vous apprenez à écrire aux autistes, alors vous aller essayer avec lui n'est ce pas ?

"La femme qui apprenait à écrire aux autistes", le jour de ma mort proposez ça comme épitaphe, je trouve ça touchant.

Dans une situation comme ça on a envie de répondre tout de suite ouiiii et de la prendre dans ses bras pour qu'elle se rassure. On a aussi envie de répondre "non, si ceux d'avant ont dit que ce n'était pas le moment ce n'est pas pour rien". On a aussi envie de répondre "je ne sais pas", parce que ça c'est la vérité. Je ne sais pas si je peux, ni si c'est ce qui est bon pour lui. Alors on répond "on va déjà faire un bilan"

Yohan est tout content de venir faire son bilan, parce qu'il peut être tout seul avec moi, sans maman entre nous. Il parle tout le temps, il n'arrête pas. De tout, de rien, sans forcement de rapport entre les sujets et sans me lancer la parole, il parle il parle il parle en me fixant, un peu comme s'il se nourrissait de mon attention, comme une plante se redresse lorsqu'on l'arrose. J'arrive tant bien que mal à lui faire passer les tests dont j'ai besoin et il parle encore plus pour cela. L'échec est insupportable pour lui, ne pas savoir quoi répondre, voir qu'il n'a pas réussi... alors il arrête et il parle, parce que ça il sait faire. Hors l'échec, il y en a beaucoup dans sa passation. Je comprends ce que veulent dire les professionnels précédents, tout ce qui sert à développer l'écriture est dans les choux. Mais pas genre les choux du bac à légume de la maison, les choux même pas cueilli dans un champs d'un pays lointain. 

Bon.

Vu qu'il sait parler je lui demande son avis sur l'écriture, ce qu'il en pense. Il me répond de manière très automatique qu'il a envie d'écrire parce que c'est important pour lui et pour l'école. Le genre de phrase qui semblent apprises par coeur, proposées par un adulte et resservie à qui passe commande par la suite.

A ce moment, une hypothèse possible, la plus probable, est qu'effectivement il y a un sur-investissement de la sphère scolaire par les parents qui sont dans ce milieu et que l'enfant répète ce qui lui donne une attention positive à la maison. Vu qu'écrire est difficile, il se retrouve en échec à l'école et comme n'importe qui qui échoue en boucle, il pète les plombs. C'est bien de faire des hypothèses, c'est essentiel même dans notre métier. Mais il ne faut pas oublier ce qu'elles sont : des hypothèses, et ne pas en faire des vérités.

Au cas où, parce qu'avec les personnes autistes je m'attends à tout maintenant, je lui donne une feuille en lui disant "vas y, écris un truc, ce que tu veux. Mais une phrase à toi". Il prend sa feuille et me sort une sorte de ligne de vagues avant de me la rendre. "Qu'est ce que tu as écrit" ? "Qu'est ce que j'ai écrit ?" me répond-il dans un sourire, dans une sorte d'écholalie améliorée ? Ce n'est pas une question piège, il s'est juste appuyé sur ma phrase pour trouver un truc à répondre.

Oui mais voilà je n'en ai aucune idée. 

"Je ne comprends pas ce que tu as écrit". Fin des sourires, les sourcils qui se plissent, les joues qui deviennent toutes rouges et il reprend sa feuille pour la gribouiller de toutes ses forces.

Ok.

Des fois les comportements sont plus signifiants que les mots, même chez ceux qui ont la chance de savoir parler.

-Pourquoi il l'a gribouillé ? Parce que tu te moques.

-Qui se moque ? A l'école

- Pourquoi ils se moquent ? Parce que j'écris pas comme il faut.

La conversation se poursuit, tant bien que mal et légèrement décousue, mais elle donne quand même lieu à une nouvelle hypothèse, qui vient effacer la première. Il a vraiment envie d'écrire. Vraiment. Il répète des phrases des adultes parce qu'on lui a donné un outil pour faire comprendre son envie, mais l'envie elle est à lui. A l'école il essaye, et vu qu'il n"y arrive pas il a proposé une imitation d'écriture à défaut de mieux. Les enfants étant ce qu'ils sont a cet âge, ils se sont moqués de lui, ce qui pour un enfant émotif, qui ne supporte déjà pas l'échec est invivable. Alors il a fait des colères, il a gribouillé ce qu'il a fait pour qu'on ne se moque plus, il a refusé d'essayer pour ne pas se rater... mais il a vraiment envie d'écrire.

Il reste quand même à prendre une décision. On le fait ou on ne le fait pas ? D'autant plus avec un enfant qui vit très mal l'échec ?

Les parents... ils sur-investissent l'écriture certes. Mais est-ce vraiment déconnant ? Ils ne demandent pas qu'il sache faire du monocycle en la mémoire d'un grand père décédé, ils demandent que leur enfant scolarisé en CM1 et qui semble avoir envie apprenne à écrire. 

Le projet...  C'est un enfant avec des capacités de planification absentes, une structuration temporelle inexistante et une mémoire plus que sélective (tu n'y gagnes ta place que si tu es un engin agricole). Ecrire des mots pour une courte check list, pour s'organiser, pour ne pas oublier...c'est quand même un super plus dans ce cas.

L'enfant et ses capacités... on est d'accord c'est un bilan qu'on écrit en soupirant. Il n'a pas grand chose sur quoi s'appuyer... sauf l'essentiel. La motivation. Pour mon épitaphe vous pouvez rajouter : "la femme qui apprenait a écrire aux autistes qui avaient envie" ce sera déjà plus proche de la vérité. 

J'ai revu ses parents et Yohan. Je leur ai dit qu'il y avait effectivement des choses importantes à travailler pour son futur, autre que l'écriture, mais que je voulais bien qu'on essaye si on ne laissait pas tomber le reste. Que des fois ça allait être difficile, qu'il y aurait des échecs et que je ne savais pas si on allait y arriver. En tout cas on ne dit pas à un enfant qu'il n"y arrivera pas avant de l'avoir laissé vraiment essayer. Les parents ont dit oui de suite, Yohan m'a fait des sourires et m'a dit qu'il avait envie de me revoir. Moi parce que je suis faible je lui ai donné un bonbon.

On s'est vu presque 2 ans, 2 fois par semaine. Moitié de séance sur l'écriture, moitié sur autre chose. On n'est pas parti des fonctions sous jacente, des années qu'il les travaillait sans vraiment de succès. On a utilisé toutes les stratégies imaginables pour essayer de comprendre et produire une lettre et garder le geste en mémoire. Des dizaines de supports parallèles pour lui faire comprendre ce que je voulais dire. Parfois des grosses déceptions de son côté, mais la séance d'après il revenait en s'étant entraîné tout seul. A l'école il a commencé à pouvoir écrire sur sa fiche, les colères et refus se sont atténués et ont disparut au fil de sa progression. Quand, au bout des 2 ans, il a quitté le cabinet, il m'a écrit une carte d'au revoir. Je n'ai eu besoin de personne pour réussir à la lire, et elle est toujours dans un de mes tiroirs.

Alors on n'a pas visé l'écriture "en attaché", l'automatisation de l'écriture ni même une jolie calligraphie. Mais dans ses bagages il a maintenant la possibilité d'écrire des mots et des petites phrases en capitale, et ça c'est un vrai plus pour son futur. Il a également la fierté d'avoir réussi.


J'espère que ces quelques lignes vous aideront à avoir une vision plus précise de ce qu'est notre métier. Comme toujours, si vous ne voulez rien rater du blog  rejoignez nous sur la page facebook du blog, ou inscrivez vous à la newsletter !

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Commentaires: 2
  • #1

    Valmy Graziella (samedi, 07 juillet 2018 06:17)

    J ai lu avec attention votre message. Moi aussi j ai un enfant autiste,qui ne sait pas écrire,parle très bien votre article m intéressé bcp

  • #2

    Nathalie C (lundi, 09 juillet 2018 18:07)

    Je ne sais pas où vous exercez car je découvre à peine votre blog, mais c'est vers des psychomot comme vous que je souhaite orienter les petits boutchou de crèche qui en ont besoin! Merci de ne pas rentrer dans le moule �