Monsieur le Président de la République Française

Monsieur le Président de la république,

 

(Ou tout autre personne qui lira ma lettre pour trouver dans les réponses-types la plus adaptées à m'adresser.)

 

Ces derniers mois les « dames de la crèche » de ma fille se sont mises en grève à plusieurs reprises. Du coup nous avons discuté crèche avec des amies. J'ai beaucoup de chance d'avoir eu une place dans la mienne. Elles prônent la bienveillance, s'informent sur les connaissances en perpétuelle évolution dans le monde de l'accompagnement de l'enfant. Elles ont organisé l'espace pour que les petits et les grands puissent se mélanger à leur envie. Elles font des ateliers sensoriels, des ateliers manuels. Elles ouvrent le lieu vers l'extérieur, avec des moments où nous parents, nous pouvons participer. A la fin de l'année il y a une fête, une exposition, une ébauche de spectacle. Elles sont toujours disponibles, à tout moment de la journée, si en tant que parents nous avons une angoisse, besoin de savoir que tout va bien, on peut appeler.

Enfin, nous le faisons moins parce que la dame de l'accueil a disparu au profit d'un grand écran tactile, où on pointe maintenant. Quand nous appelons elles doivent courir au téléphone, laisser les enfants qu'elles avaient sur le moment, alors on essaye de ne pas trop les déranger.

Mais vraiment, j'ai de la chance, parce qu'en discutant avec mes amies je m'aperçois que ce n'est pas partout comme ça.

 

Je me suis alors posée la question, monsieur le Président, du pourquoi de la grève, de pourquoi il y a de plus en plus d'arrêts maladie dans notre crèche qui est plutôt agréable à vivre ? Et pourquoi tant de disparités entre les crèches ?

 

Bon en vrai je m'en doutais déjà mais un peu de rhétorique ne fait pas de mal.

 

Les auxiliaires de puériculture, nous sommes tous d'accord, ne feront jamais fortune avec leur métier, mais ça ce n'est pas nouveau. Seulement les moyens mis à leur disposition fondent comme une glace au soleil de leur terrasse. Alors monsieur le Président, je peux vous le dire très clairement, vous pouvez encore diminuer les coûts et les moyens sans difficulté, il y a de la marge. Malgré cela nos enfants resteront à nous attendre en sécurité de notre départ à notre retour. Un peu comme dans un parking ultra sécurisé.

 

Oui mais voilà, une crèche ce n'est pas un parking à bébé monsieur le Président. En tout cas cela ne devrait pas le devenir. Ma description de la crèche de ma fille vous a peut être parue sentir un peu trop la guimauve, je vous en reparle avec d'autres mots. J'ai de la chance d'avoir eu une place dans cette crèche car nos enfants y passent de nombreuses heures. Pendant ces heures, ils apprennent la socialisation, le vivre en groupe, le partage, l'empathie qui seront nécessaire à leur vie de citoyen plus tard. Ils apprennent également à découvrir leur corps, leur motricité, leurs compétences, à se développer. Tout cela ne se fait pas parce qu'on les parque dans un endroit sécurisé, mais parce que ces professionnels prennent du temps pour leur apprendre. Et ce temps, monsieur le Président, c'est uniquement grâce aux moyens qui sont en train de disparaître qu'ils l'avaient. Elles le font parce que jusqu'ici elles aiment leur travail. Elles ne sont pas obligées. Ce n'est pas du luxe, ce n'est pas du confort, c'est « juste » le futur de nos enfants. C'est aussi par conséquent celui de notre pays.

 

Je vous parle ici de ma crèche parce que c'est ce que je connais le mieux, mais nous sommes d'accord que c'est tout l'univers de la petite enfance qui est en souffrance. De l'assistante maternelle à l'éducatrice de jeunes enfants, de l'auxiliaire de puer à l'éducatrice spécialisée, elles et ils sont tous dans le même bateau qui prend l'eau à écoper comme ils peuvent. Après on s'étonnera que nos enfants aient les pieds mouillés en maternelle, et on demandera aux professeurs des écoles pourquoi ils n'arrivent pas à les sécher. Le petit enfant n'est pas un être passif qui se contente de recevoir des soins d'hygiènes et d'alimentations. Il se nourrit de tout ce qu'on veut bien lui offrir et construit dès ses premiers jours l'adulte qu'il sera demain. Je ne parle même pas des nourritures affectives et des conséquences d'une éventuelle carence, Boris Cyrulnik l'a déjà fait admirablement.

 

On pourra nous dire que c'est aux parents de faire tout ceci, mais on ne rattrape pas les heures passées à la crèche ou chez la nounou. A cet âge là, chaque minute, chaque expérience compte. C'est cela qui nous permet, nous parents, d'aller travailler chaque jour. On pourra sûrement se rabattre vers des crèches privées, chères mais avec de beaux moyens. Il y aura ceux qui peuvent les payer et les autres. Mais pour moi ce n'est pas ça la France, l'égalité des chances. Ce n'est pas comme ça qu'on accueille les enfants de la république. On pourra aussi retourner vers un système où un des parents arrête de travailler pour s'occuper de l'enfant. Mais je n'ai pas l'impression que c'est vers cela qu'on nous pousse. Et puis avec la précarisation des classes les plus modestes, on en revient à notre égalité des chances.

 

A l'heure où l'instruction devient obligatoire dès trois ans pour, justement, donner les mêmes chances à chacun, s'ouvrir les uns au autres, et l'épanouissement de nos petits, ne vous trompez pas sur l'importance de ces trois premières années de vie. Les apprentissages qu'ils y font sont tout aussi essentiels que par la suite, car ils constituent le socle sur lequel ils vont se construire. C'est là qu'ils vont prendre confiance en eux pour se lancer dans le monde. C'est là qu'ils découvre la sécurité affective que seule une personne qui a du temps peut leur apporter. C'est là qu'ils deviennent assez fort pour affronter le monde. Je pourrais parler longtemps de toutes les bases acquises sur cette période mais ce n'est pas le lieu. Si le sujet vous intéresse je serai heureuse de vous transmettre une bibliographie.

 

« Avec quel budget tout ça ? » me direz vous peut être. Je n'en sais rien pour la simple raison que ce n'est pas mon métier monsieur le Président. Trouver l'argent, le gérer c'est votre domaine, celui de vos prédécesseurs et de vos successeurs, celui de vos conseillers. Si je savais le faire je serais président de la république et ce n'est pas le cas. Je n'ai pas la prétention d'avoir toutes les informations ni celle de vous apprendre à faire votre métier. Je peux juste vous dire comment fonctionne un enfant et l'importance de ne pas bâcler ses premières années de vie. Je peux juste mettre ma confiance en vous, monsieur le Président, pour comprendre l'importance, le caractère essentiel de ce que vous avez entre vos mains.  


J'enverrai cette lettre dans la semaine prochaine, au Président donc et en copie à sa femme (prof, maman... on ne sait jamais). Si certains veulent la co-signer c'est avec plaisir, laissez moi un nom et si vous le souhaitez une ville/une profession.

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Commentaires: 5
  • #1

    Sophie R. (lundi, 02 juillet 2018 21:10)

    Je signe, plutôt 2 fois qu'une...Parce je suis responsable adjointe d'une crèche associative que j'ai crée moi même en 1989. C'est dire la foi, le dévouement, les espoirs, l'ambition que j'ai mis dans cette petite structure qui se voulait familiale où chaque enfant était accueilli dans le respect , les parents écoutés ou la co-éducation n'était pas un vain mot. Des années ont coulées. Des couleuvres ont étés avalées... et la colère est née. Une colère d'abord sourde et insidieuse , puis de plus en plus violente face à la non considération de nos enfants, de nos professions.
    Le jour où les petits se sont transformés en euros, j'aurai dû comprendre. Comprendre que les jeux étaient faits, les cartes distribuées... malgré ça, j'ai continué à me battre pour offrir un lieu d'accueil bienveillant à ces tout -petits, qui seront , ne l'oublions pas les adultes de demain.Et j'ai perdu, malgré une équipe motivée, imaginative, riche de toute sa bonne volonté, on nous a demandé plus et encore plus, ou plutôt moins, moins de bras chaleureux pour entourer nos bébés, moins de budget pour les éveiller, plus d'enfants pour moins de bras et toujours le même espace.... Et l'épuisement est arrivé. Aujourd'hui les mauvaises conditions en EHPAD font la une des médias, aujourd'hui , les crèches prennent le même chemin.... Aujourd'hui ,je suis arrêtée pour burn-out...

  • #2

    Daphnée (lundi, 02 juillet 2018 22:31)

    Et moi je signe et je commente après Sophie R. Qui m'a embauchée on ne sait pourquoi et qui m'a fait grandir ! C'était ça que je voulais, ce lieu associatif qui pourtant prenait déjà une tournure qui ne lui plairait pas à Sophie, avec le recul... Dans sa crèche j'ai entendu un prénom d'un enfant turbulent et terriblement attachant qui m'en a fait voir des ronds de chapeau et qui comme les autres est rentrée à l'école et nous, nous sommes restés. Je dois à cette rencontre,
    Le prénom de mon fils. La crèche c'est un lieu de vie, de rencontres. Aujourd'hui je suis aussi responsable et non directrice, j'y tiens d'un petit lieu de vie avec les adultes de demain. Je suis une dame de la crèche qui essaie de faire en sorte que les enfants bullent, apprennent et jamais autant que possible, à leurs dépends...

  • #3

    Émilie (lundi, 02 juillet 2018 22:50)

    Tout ce qui pourra faire bouger la petite enfance est positif.
    Je suis assistante maternelle et le peu de moyen que nous avons, est menacé.
    Je co-signe .

  • #4

    Marina (mardi, 03 juillet 2018 19:29)

    Marina boulanger, gravelines.

  • #5

    Julia (vendredi, 06 juillet 2018 10:55)

    Je signe car c'est avec l'éducation et la bienveillance qu'on fait avancer le monde !