Linda, autiste Asperger et nos bonjours

 

 

 

 

 

 

Il est parfois dur de vivre parmi des neurotypiques et leurs manies bizarres.

J'ai une copine (depuis longtemps) qui est un peu fofolle, très drôle, pas mal tatouée, super intéressante et asperger (depuis toujours). Une Aspigirl comme on dit. Elle s'appelle Linda.

C'est une copine, pas une patiente, alors on n'en parle rarement. Pas que ce soit tabou, mais on a souvent mieux à se raconter que nos particularités neurologiques ou notre verrue sous le bras.

Fréquenter des autistes ça change la vision stéréotypée qu'on peut avoir d'eux. Elle est ultra empathique, comme la plus part d'ailleurs. Lorsqu'ils ne le sont pas c'est qu'ils n'ont juste pas capté ce qu'il se passait. Dur d'être empathique quand on ne voit pas que la personne en face est triste.  Mais ce n'est pas un défaut d'empathie, juste un défaut de perception de ce qui se passe. Elle, on pourrait la prendre comme illustration du mot "gentillesse" dans le dictionnaire (pour les plus jeunes, un dictionnaire c'est un gros bouquin avec des mots et leurs définitions, que tu doit consulter à la main. Pas de "OK dico").

Elle a peur du monde mais sort quand même, pour s'habituer. Elle fait des sorties avec des groupes d'inconnus, pour s’entraîner, elle va au cinéma avec eux comme ça elle n'a pas trop à leur parler. Elle fait des efforts de dingue pour faire tout comme il faut pour nous, les neurotypiques, mais ce n'est pas récompensé à sa juste valeur. Ce n'est pas écrit sur sa tête qu'elle est Asperger, ni nulle part sur son corps. Du coup personne ne voit ce que ça lui coûte de s'adapter à nos bruits, elle l'hyperaccousique, à nos odeurs, à nos implicites et à nos non dits. Personne ne voit ces petites victoires. Par contre on remarque facilement lorsqu'elle est à côté de la plaque.

Quand on rencontre Linda, elle nous serre chaleureusement la main, dans les deux siennes. Des fois dans la soirée elle va nous mettre une main sur l'épaule. Pour dire au revoir c'est la même chose, toujours la première à tendre les mains. Une fois où on parlait des particularités sensorielles, des gens tactiles ou non, je lui faisais remarquer que elle n'avait pas de difficulté dans ce domaine.

En fait elle a horreur de ça.

Elle déteste, viscéralement qu'on la touche. Ça lui fait yerk yerk yerk (bon elle elle le dit mieux). Un peu étonnée je lui souligne qu'elle touche pas mal les gens.

C'est vrai. Elle a retenu que les neurotypiques, pour la plus part, ça aime bien se toucher. La bise, le câlin qui console, celui de félicitations, les mains qui se serrent, les gens qui vous prennent le bras. Elle vit ça comme une bombe a retardement sociale permanente, à se demander en permanence qui va la toucher et pourquoi (parce que les situations sociales, c'pas sa spécialité). Du coup elle touche en premier, pour désamorcer. Comme ça elle maîtrise, et c'est réglé. Si elle tente d'esquiver le bonjour, elle a toujours le risque de s'entendre dire "ooooh pardon je te t'ai pas fait la bise !" *smack *smack* bruit des limaces baveuses qui se collent sur les joues.

Quand on y pense, son comportement me fait penser à celui des enfants qui sont régulièrement frappés. Pour ceux qui ont fréquenté le milieu de l'enfance battue, on entend souvent (du côté des violents) "mais vous n'imaginez pas tout ce qu'il est capable de faire pour nous pousser a bout et s'en prendre une. Il le cherche !".

C'est souvent vrai. Mais il ne le cherche pas parce qu'il aime ça. Il le cherche parce qu'il sait qu'à un moment où un autre il va se faire frapper. Alors plutôt que de vivre dans l'attente angoissante et insupportable de la gifle ou du coup de pied, ils provoquent pour que ça arrive. Comme ça c'est réglé, il n'y a plus cette peur qui envahi tout et en prime papa ou maman à l'air tellement mieux et plus serein.

Elle me rappelle ça ma copine, à venir nous toucher alors qu'elle déteste ça, pour ne pas vivre dans l'angoisse d'un contact encore pire. Alors on n'y est pas pour grand chose avec nos rituels bizarres, mais elle non plus. Par contre on peut le garder en tête pour tous les autres qui n'ont pas la chance de pouvoir parler et expliquer qu'ils touchent parce qu'ils ont appris qu'il le faut, parce qu'ils préfèrent ça que d'être touché, mais qu'en vrai, ils détestent ça.

Et moi ma copine, je ne la touche plus.

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